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mardi 19 juin 2012

Arrietty, le petit monde des chapardeurs - Karigurashi no Arietti, Hiromasa Yonebayashi (2010)


Dans la banlieue de Tokyo, sous le plancher d’une vieille maison perdue au cœur d’un immense jardin, la minuscule Arrietty vit en secret avec sa famille. Ce sont des Chapardeurs. Arrietty connaît les règles : on n’emprunte que ce dont on a besoin, en tellement petite quantité que les habitants de la maison ne s’en aperçoivent pas. Plus important encore, on se méfie du chat, des rats, et interdiction absolue d’être vus par les humains sous peine d’être obligés de déménager et de perdre cet univers miniature fascinant fait d’objets détournés. Arrietty sait tout cela. Pourtant, lorsqu’un jeune garçon, Sho, arrive à la maison pour se reposer avant une grave opération, elle sent que tout sera différent. Entre la jeune fille et celui qu’elle voit comme un géant, commence une aventure et une amitié que personne ne pourra oublier

Arriety
arrivait un an après la précédente production Ghibli, le merveilleux Ponyo réalisé par Miyazaki et deux après le mitigé Les Contes de Terremer par Goro Miyazaki (fils de). Le fossé qualitatif entre le film du maître et les deux qui l’entourent relance une problématique de plus en plus tenace au Studio Ghibli : y a-t-il une vie après Hayao Miyazaki ?

Pour comprendre la nature du malaise, il faut remonter aux origines de Ghibli. Au milieu des années 80, las de voir sa créativité bridée au sein des grands studios, Hayao Miyazaki décide de fonder sa propre structure avec son ami Isao Takahata et le journaliste producteur Toshio Suzuki. Grâce au carton de Nausicaa (son dernier film pré Ghibli), les financements arrivent sans difficulté, Miyazaki et Takahata s’engageant à alterner chacun un film pour le studio tout en formant progressivement les collaborateurs aptes à passer à la réalisation à leur tour. La suite on la connaît : malgré le succès mitigé du fabuleux Château dans le ciel, la qualité est immédiatement au rendez-vous, le studio gagnant son aura populaire progressivement grâce au Tombeau des lucioles de Takahata et Mon voisin Totoro. La reconnaissance va se faire ensuite mondiale avec Le Voyage de Chihiro. Miyazaki et donc Ghibli deviennent une véritable trademark du merveilleux et de l’imaginaire, à l’égal de Disney.

Un seul problème dans cette réussite, Takahata et Miyazaki n’ont pu s’assurer une succession viable. Yoshifumi Kondō, premier réalisateur d’un film du studio qui ne soit pas des deux fondateurs (et seul qui soit digne d’eux) avec l’excellent Si tu tends l'oreille aurait dû être celui-là mais décède prématurément en 1998. Miyazaki qui envisageait de prendre sa retraite après le triomphe de Princesse Mononoké revient donc sur sa décision. Depuis, le studio vit sous perfusion au rythme des réalisations de plus en plus espacées de Miyazaki et Takahata qui ne rajeunissent pas tandis qu’entre-temps, les productions moins ambitieuses comme Le Royaume des chats sortent sur les écrans.

Récemment, Isao Takahata (aussi brillant bien que moins identifiable que Miyazaki car il ne dessine pas et adapte son style au sujet) a quitté le studio, laissant Miyazaki et Suzuki seuls aux commandes et accentuant le malaise. Les occasions de trouver des réalisateurs de talent n’ont pourtant pas manqué puisque Mamoru Hosoda (brillant réalisateur de Summer Wars et La Traversée du temps déjà évoqué ici) devait à l’origine diriger Le Château ambulant. Mais doté d’une personnalité artistique forte et peu malléable, il fut écarté et Miyazaki le réalisa lui-même. Les Contes de Terremer fut également une des causes de tension au sein du studio Miyazaki, ce dernier mettant tout en œuvre pour que son fils (pour qui il souhaitait une autre carrière) ne réalise pas le film. Cette omnipotence de Miyazaki est donc à la fois une bénédiction (on est heureux que ses maintes velléités de retraite soient repoussées) et une malédiction puisque castratrice pour tout novice du studio.

Toute cette longue introduction aura donc servi à comprendre les profondes carences de la nouvelle production Ghibli Arriety. Le film est une adaptation du roman The Borrowers de Mary Norton, classique de la littérature enfantine anglo-saxonne qui connut une version « live » (bien plus débridée et amusante) en 1997 et inspira le dessin animé Les Minipouss. Le scénario est de Miyazaki (qui transpose l’intrigue dans un Japon contemporain) et on devine tous les thèmes et aspects qui l’ont intéressé. La jeune héroïne courageuse en quête d’émancipation renvoie à Nausicaa (et Kiki, Chihiro et bien d’autres), l’histoire d’amour/amitié entre deux êtres issus de mondes différents (ici celui entre les humains et les lutins) renvoie à Princesse Mononoké, tout comme la méfiance et la peur de l’autre.

La dimension écologique si chère à l’esprit Ghibli est également bien présente à travers toutes les discussions sur la disparition imminente de la race des lutins dans un monde de plus en dangereux pour eux. Tout cela aurait donné un titre majeur de Ghibli avec Miyazaki aux commandes mais imposé à un autre sonne plutôt comme un lourd cahier des charges à respecter. Hiromasa Yonebayashi (animateur de talent, on lui doit la scène de la vague géante où court l’héroïne en pleine tempête dans Ponyo) ne témoigne malheureusement d’aucune personnalité et se contente de singer le maître.

Loin d’être médiocre, Arriety déploie d’ailleurs la maîtrise technique et l’identité esthétique associée à Ghibli avec brio. La première expédition de chapardage offre ainsi des perspectives insensées lorsqu'on découvre l'immensité que représente pour les lutins l'univers des humains à coups de plongée et contre-plongées vertigineuses. Le personnage titre Arriety a tout ce qu’il faut de mignon, attachant et déterminé pour susciter l’adhésion mais la faiblesse de la trame le rend fade face aux grandes héroïnes miyazakiennes. La narration se veut dépouillée et intimiste mais surtout transparente (à l’image de son héros masculin) où l’accélération finale semble bien artificielle.


Là encore un Miyazaki (capable s’il le souhaite de script brillamment charpenté) se délecterait d’un récit un peu lâche pour faire ressentir par sa mise en scène et sa poésie ce que le déroulement basique ne peut exprimer (Mon voisin Totoro, Le Voyage de Chihiro, Ponyo). Rien de tout cela ici et on s’étonne encore lorsqu’en conclusion Shô remercie Arriety de lui avoir redonné le goût de vivre. Etrangement cette profonde dépression, on ne l’a guère ressentie. Malgré tous ses reproches, Arriety n’est pas un total ratage et se laisse suivre sans ennui mais il s’en dégage un triste sentiment de pilotage automatique, de démonstration de savoir-faire sans âme.

Inquiétant pour l'avenir de Ghibli même si le récent et très joli La Colline aux coquelicots (on en reparlera ici) a plutôt rassuré.

Sorti en dvd chez Disney dans la collection Ghibli

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