Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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jeudi 2 janvier 2014

La Tempête qui tue - The Mortal Storm, Frank Borzage (1940)

Une famille allemande, unie et heureuse, se trouve divisée à l'avènement du national-socialisme. Le père, professeur de faculté et savant renommé, la mère, et Martin, un jeune paysan ami de la famille, sont pour la paix. Les deux fils et Fritz, le fiancé de Freyda, sont tentés par l'aventure hitlérienne.

Frank Borzage réalise avec The Mortal Storm un des premiers films hollywoodien fustigeant le régime nazi, alors que la guerre fait rage en Europe et que les Etats-Unis ne sont pas encore engagés dans le conflit. L'opinion publique est contre une entrée en guerre, soutenue par la politique isolationniste du gouvernement et dans un premier temps Hollywood suit cette logique malgré quelques tentatives plus timides de film politisée. Les patrons de studios de confession juive comme Louis. B Mayer et les émigrants germaniques ayant fui le nazisme travaillant désormais dans l'industrie vont pourtant peu à peu faire évoluer la tendance. C'est ce contexte plus favorable qui amènera la MGM à adapter le roman de Phyllis Bottome, active militante antinazie aux Etats-Unis. Malgré quelques maigres précaution (le fait une le récit se déroule en Allemagne dit avec parcimonie tout au long du film même si c'est évident pour le spectateur, les protagonistes persécutés par les nazis qualifiés de non-aryens et pas de juifs) le film s'avère puissamment virulent envers le régime hitlérien et entraînera l'interdiction par Goebbels de tous les films MGM en Allemagne. Le film échappe cependant en tout point à l'œuvre de propagande grâce à la sensibilité de Frank Borzage qui inscrit parfaitement ses thèmes à un cadre contemporain, lui qui avait déjà situé certains de ses plus beaux mélodrames en Allemagne avec Et demain ? (1934) et Trois camarades (1936) où l'on retrouve déjà Robert Young et surtout Margaret Sullavan.

Le film s'ouvre sur ce qui sera son seul moment de communion, où tous les personnages partageront bonheur et complicité. La réunion se fait intime mais aussi plus vaste à l'échelle de ce village des Alpes allemandes pour célébrer les soixante ans du Professeur Roth (Frank Morgan), aimé et respecté de tous. Toute cette ouverture chaleureuse évoque un paradis perdu, symboliquement avec visions aériennes du village semblant issues d'une boule à neige et bien sûr l'union de la famille du professeur et l'attachement de ses élèves et collègues lors de l'hommage qu'ils lui rendent au sein de l'école.

 Ces lieux d'échanges serviront bientôt la division, Borzage amorçant cette séparation lors du dîner d'anniversaire interrompu par l'annonce de l'élection d'Hitler en tant que chancelier. Les garçons de la famille (Robert Stack et William T. Orr) et le fiancé Fritz (Robert Young) se ruent sur le poste de radio pour écouter sa première allocution tandis que Roth, sa femme et sa fille Freyda (Margaret Sullavan) et l'ami de la famille Martin (James Stewart) demeurent à leur place.

Cette réaction différente face à la nouvelle va ainsi laisser éclater à cette échelle modeste les futurs conflits du film. Par son attitude mesurée, James Stewart tranche immédiatement avec un enthousiasme qui se fait accusateur chez les convaincus et exprime d'emblée l'adhésion extrémiste exigée par le parti nazi où tout opinion divergentes est une trahison. On assiste ainsi progressivement à la mise en place de ce régime, par détails qui se font de plus en plus envahissant (le heil Hitler pour se saluer en tous lieux) et les lieux vus en début de films devenant soudain irrespirables pour nos héros. L'université voit son rôle bafoué par l'idéologie nazie reniant la science si elle contredit la supériorité génétique aryenne, le foyer est abrite désormais les nouveaux "amis" des fils et l'uniforme nazi se fond dans le quotidien.

Borzage par cette intrusion exprime à l'échelle du village le basculement tragique que vit l'Allemagne, les comportements les plus abjects étant désormais la norme (terrible passage à tabac de l'instituteur). Le drame et la mise au banc des personnages peuvent ainsi se dévoiler dans ce contexte brillamment introduit. Nos héros sont toujours présentés dans leurs individualités quand les nazis ne semble qu'une entité collective opaque suivant l'idéologie comme des automates.

Le procédé se répète sans cesse, le professeur Roth assumant ses idées face à sa classe en uniforme, Martin attendu par la milice après avoir accompagné Freya et ce glaçant moment où il se sent isolé avec elle dans la taverne lorsqu'ils sont les seuls à ne pas entonner le bras levé le nouvel hymne allemand avec ferveur. Les personnages paraissent toujours être de frêles silhouette face à un mur froid et intolérant qui les domine (l'entrevue de Roth et son épouse dans une salle d'interrogatoire sombre) et ce n'est que lorsqu'ils sont isolés que les nazis retrouve un semblant de conscience comme Fritz se déridant pour aider Freya à voir son père emprisonné où le final où Robert Stack ouvre enfin les yeux.

Seuls étincelles d'humanité dans ce cauchemar, le couple James Stewart/Margaret Sullavan (réunis cette même année dans The Shop Around the Corner plus apaisé mais pas si éloigné sous sa légèreté) est magnifique d'alchimie et d'émotion contenue, laissant enfin s'exprimer leur sentiments alors tous leurs amis s'endurcissent dans un fanatisme sans attache. La passion que sait si bien exprimer Borzage offre ainsi de superbes moments où les détails et objets sont plus évocateurs que les mots d'amour (le verre des mariés) interrompus par le danger si ce n'est dans les instants où le drame explose.

Le premier "Je t'aime" se dit ainsi avant l'ultime départ et les amoureux n'auront réellement le temps de se regarder et d'échanger qu'au moment d'une terrible séparation. La caméra retraverse la demeure familiale en conclusion avec les échanges des jours heureux en échos pour bien nous signifier que tous ces rires ne pourront rester qu'à l'état de souvenirs pour le pays si rien change. Borzage alerte sur la tempête en marche dans cette œuvre somptueuse par l'humain plus que par le message lourdement appuyé.

Sorti en dvd zone 2 français chez Warner dans la collection Trésors Warner

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