Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 21 octobre 2014

Shock Corridor - Samuel Fuller (1963)

Johnny Barett, journaliste ambitieux qui souhaite gagner le Prix Pulitzer, projette de s'immerger dans un asile psychiatrique pour démasquer l'auteur d'un meurtre qui s'y est déroulé. Préparé par un psychiatre, ancien spécialiste de la guerre psychologique, et avec la complicité réticente de sa compagne Cathy, stripteaseuse, qui se fait passer pour sa sœur victime de ses tendances incestueuses, il se fait arrêter puis interner tout en continuant à simuler des troubles mentaux.

Samuel Fuller scrute les maux de l’Amérique par le prisme de la folie avec ce tétanisant Shock Corridor. En ce début des 60’s, l’imagerie americana idéalisée de la décennie précédente s’apprête à vaciller dans le cauchemar. De l’intérieur comme de l’extérieur le pays porte en germe différents conflits majeurs : la crise de la baie des cochons a rendu la menace nucléaire et la Troisième Guerre Mondiale terriblement concrète, la chasse aux sorcières du Maccarthysme a laissé des cicatrices non résorbées, la guerre du Vietnam débutera pour le pire l’année suivante, les émeutes de Watts en 1965 vont faire exploser le conflit racial latent et en cette même année 1963 et deux mois après a sortie de Shock Corridor l’horreur de l’assassinat de JFK s’apprête à traumatiser une société entière. Tout cela est contenu dans ce Shock Corridor modeste par son budget mais immense par son ambition. La première ébauche fut initialement écrite par Fuller en 1946 sous le titre The Lunatic, mais ce n'est qu'avec le succès de la pièce Vol au-dessus d'un nid de coucou qu'il parvint à monter le projet.

Johnny Barrett (Peter Breck) est un journaliste dévoré par les rêves de grandeur et l’obtention du prix Pulitzer. Il est prêt à toutes les audaces pour cela et se prépare depuis un an à ce qui sera l’article de la consécration. Préparé par un psychiatre, il compte se faire passer pour fou afin d’infiltrer un asile afin d’y résoudre un meurtre s’y étant déroulé. Son entourage va se plier à cette volonté, pour certain à contrecœur comme sa petite amie Cathy (Constance Towers qui retrouvera Fuller dans le tout aussi brillant The Naked Kiss (1964)) qui doit provoquer son internement en se faisant passer pour sa sœur victime de ses avances incestueuse. 

Fuller se débarrasse assez vite de l’aspect administratif et judiciaire de la chose (car si l’on devait être interné sur des critères aussi hâtifs beaucoup auraient leur place en hôpital psychiatrique) pour rapidement plonger notre héros dans cet asile où il va devoir mener habilement l’enquête. Le décor principal du film est « la rue », immense couloir où défile les malades, véritable théâtre de la démence qui va peu à peu contaminer un Barett tentant tant bien que mal de garder les idées claire. Par sa narration alerte et sa mise en scène oppressante, Fuller fait vite basculer l’atmosphère dans le pur cauchemar. Les zombies de La Nuit des morts-vivants (1968) s’annoncent ainsi dans cette scène digne d’un film d’horreur où Barrett enfermé par inadvertance avec des nymphomanes est littéralement pris d’assaut et dévoré par les femmes en rut se battant pour sa chair.

C’est surtout à travers les trois témoins du meurtre sondés par Barrett que Fuller va montrer la transition des 50’s (faussement) de rêve vers les ténébreuses 60’s puisque chacun d’eux représente la tare d’un rêve américain illusoire. Chacun d’entre se sera réfugié dans une chimère, subit le rejet et sombré dans la démence. Stuart (James Best) aura ainsi cédé à l’idéal communiste durant la Guerre de Corée avant qu’un mentor lui fasse voir un visage plus positif de l’Amérique. Pourtant à son retour au pays il n’aura droit qu’à l’opprobre anti rouge, sa folie se manifestant alors par une schizophrénie où il se prend pour des généraux de la Guerre de Sécession.

Trent (Hari Rhodes) aura tutoyé l’idéal de l’égalité des chances en étant le seul étudiant noir au sein d’une université du Sud mais la pression et l’hostilité de ses camarades aura eu raison de sa santé mentale. Désormais il oublie sa couleur pour se prendre pour le plus virulent des ségrégationnistes, volant les taies d’oreillers pour en faire des cagoules du Ku Klux Klan. Enfin, le brillant scientifique Boden (Gene Evans) a désormais l’intellect d’un enfant de six ans, dépassé par l’ampleur de ses travaux sur la bombe atomique. 

Le scénario dévoile ses éléments par fragments dans les courts laps de lucidité des témoins, rompus avant l’information clé (l’identité du meurtrier) par des crises terrifiantes où ces hommes apparaissent autant victimes (et évitant un côté schématique froid, la révélation du trauma de Trent et Suart s'avérant même vraiment poignante) que monstrueux dans l‘expression de leur failles. Fuller n’interrompt pas le court de leurs brèves révélations pour de simples vertus de suspense. Ces hommes ont perdus pied quand ils pensaient toucher au but et avoir trouver leur idéal. C’est une manière de nous préparer au terrible sort de Barrett, de plus en plus instable alors qu’il approche de la résolution et déjà fou à son tour alors qu’il connaît enfin le coupable. 

Lui aussi aura poursuivi une autre chimère de l’Amérique à savoir la reconnaissance et la célébrité, l’aura souhaité tellement fort et pris des risques si insensés qu’il n’aura plus les ressources mentales pour en jouir une fois atteinte (les signes avant-coureurs de la folie s'exprimant par la nature même de son obsession). Tout comme ses camarades, sa folie définitive s’exprimera dans une hallucination faisant surgir brutalement la couleur dans des inserts brisant les ombres inquiétantes de la photo de Stanley Cortez. Dès lors il ne sera qu’un pantin de plus dans la terrible séquence finale où la caméra arpente le fameux couloir, scrutant comme les malades comme les freaks d’un cirque de cauchemar, celui de l’Amérique déchue. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Wild Side

2 commentaires:

  1. Bel article sur un film qui s'avère aussi une comédie noire, baroque et pirandellienne sur l’hubris ; il faut lire le roman de Fuller, paru en "Série noire" ; et voici un excellent petit portrait du cinéaste - enjoy !
    http://vimeo.com/12698811

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  2. Excellent ce petit portrait merci pour la vidéo ;-)

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