Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mercredi 3 décembre 2014

Boulevard de la mort - Death Proof, Quentin Tarantino (2007)

C'est à la tombée du jour que Jungle Julia, la DJ la plus sexy d'Austin, peut enfin se détendre avec ses meilleures copines, Shanna et Arlene. Le trio  attire les regards dans tous les bars et dancings du Texas. C'est ainsi que Mike, cascadeur au visage balafré et inquiétant, est sur leurs traces, tapi dans sa voiture indestructible. Tandis que Julia et ses copines sirotent leurs bières, Mike fait vrombir le moteur de son bolide menaçant...

Le côté cinéphile référentiel des dialogues et des situations, les clins d’œil à la pop culture, tout cela était présent à des degrés divers dès les premiers films de Quentin Tarantino. La relecture du film hongkongais City on fire de Ringo Lam et les envolées sur le Like a Virgin de Madonna dans Reservoir Dogs (1992), les références à la littérature pulp dans Pulp Fiction (1994) et l’hommage à la Blaxploitation de Jackie Brown (1998) étaient des témoignages de la culture du réalisateur et témoignaient de sa capacité ludique à les insérer dans des intrigues se suffisant cependant à elles-mêmes. 

Cette dimension méta allait réellement devenir le moteur de son cinéma avec le diptyque Kill Bill (2003-2004). Dans le premier volet, Tarantino signait un chef d’œuvre pop truffé d’emprunts au cinéma d’exploitation qu’il adore, allant des films de la Shaw Brothers au chambarra sanglant de Meiko Kaji comme Lady Snowblood et abordait enfin son thème fétiche de la vengeance. La deuxième partie sans se délester totalement de cette idée constituait pourtant une sorte de retour au réel, la vengeance étant plus difficile à se dessiner, que ce soit par la douleur physique (Uma Thurman n’étant plus la walkyrie indestructible du Volume 1) ou le dilemme moral à travers les liens complexe liant La Mariée à Bill. Kill Bill Volume 1 (2003) représentait en quelque sorte le monde de tous les possibles du cinéma tandis que Kill Bill Volume 2 (2004) nous ramenait sur terre, la coquille vide jouissive était contredite par un réel plus profond. Une idée pas si surprenante quand on se souvient des éclats de Pulp Fiction suivi de l’atmosphère intimiste de Jackie Brown.

Death Proof, pris à tort pour une récréation moins ambitieuse représente un jalon majeur de son œuvre puisque célébrant définitivement le triomphe de la fiction et qui nous mènera vers l’uchronie cinéphile du génial Inglorious Basterds (2009). Le projet est au départ une célébration de la série dans un double-programme comprenant deux sketches, Planet Terror (2007) de Robert Rodriguez et donc Death Proof. Le tout est entrecoupé de fausses-bandes annonces, d’imperfections (passage de la couleur au noir et blanc, pellicule rayée, bobine manquante) tentant de reproduire les projections chaotiques des série B d’antan. 

Le tout sortira sous cette forme dans un film de trois heures et sera un échec retentissant. Pour rattraper le désastre financier, les réalisateurs et leurs producteurs décident de ressortir les films séparément et dans des versions longues constituant des long-métrages indépendant. Si Planet Terror est un divertissement déjanté et amusant (et un des rares rayons de soleil de la filmographie sinistrée de Robert Rodriguez), Boulevard de la mort est d’un tout autre calibre, décevant pour les fans obtus du genre (qui seront tout aussi décontenancé devant Inglorious Basterds bien plus que le film de commando bourrin attendu) et jubilatoire pour le cinéphile et friand du réalisateur qui signe là son film le plus tarantinesque.

Boulevard de la mort procède de manière inversée des Kill Bill en nous emmenant d’abord du monde réel vers celui du cinéma dans ces deux parties reposant sur un même schéma. La première partie voit un attachant trio de jeunes femmes, Butterfly (Vanessa Ferlito), Jungle Julia (Sydney Tamiia Poitier) et Shanna (Jordan Ladd) devenir les cibles d’un dangereux psychopathe motorisé, Stuntman Mike (Kurt Russell). Tarantino alterne film de filles détendu et construction de série B : les scènes où le tueur observe ses victimes à la dérobée évoque Halloween (1978) tandis que le semblant d’explication psychologique final rappel celui célèbre de Psychose (1960).

Les jeunes femmes, rigolardes attachantes et naturelles s’inscrivent dans le monde réel, Tarantino montrant sobrement leur vulnérabilité sous leurs airs turbulents (Jungle Julia envoyant un texto à un flirt qui ne viendra pas, Butterfly attirée sans se l’avouer par le charme viril et inquiétant de Stuntman Mike). Stuntman Mike est l’élément perturbateur qui s’immisce dans ce réel, pure figure de cinéma décalée (le moment où il déroule son cv de cascadeur à une audience ignorant tous des productions auxquelles il fait référence) mais monstre omniscient et indestructible qui déroulera un programme meurtrier parfaitement huilé. Tarantino souligne cela par une complicité inconfortable avec le spectateur qui connaît par cœur le programme du slasher, Stuntman Mike adressant un grand sourire satisfait face caméra avant d’aller trucider les jeunes filles dans une scène de collision stupéfiante, montant en puissance et explosant comme un orgasme.
La deuxième partie semble dérouler le même programme, Stuntman Mike ayant désormais pour cible un autre groupe de filles composé de Kim (Tracie Thoms), Zoé (la cascadeuse Zoë Bell dans son propre rôle), Abernathy (Rosario Dawson) et Lee (Mary Elizabeth Winstead). La caractérisation de personnages semble suivre le même moule décontracté mais avec une différence majeure : toutes ces filles évoluent dans le milieu du cinéma. Les conversations futiles sur les hommes sont bien là mais avec un détachement amusé que le premier groupe n’avait pas (Kim se vantant fièrement de se balader avec une arme, Abernathy moquée par ses amis d’être trop timorée niveau sexe) et surtout l’aspect référentiel surgit par la culture de ces jeunes filles. Fans de voiture et admiratrices des grands road movie motorisés des 70’s ouvertement cités (Point Limite Zéro (1971), Larry le dingue Mary la garce (1974) elles sont justement en route pour essayer la légendaire Dodge Challenger blanche de Point Limite Zéro qu’un quidam local vend.

Leurs côté casse-cou se manifestera le temps la préparation et la mise en œuvre d’une cascade pour le fun, et c’est précisément là que surgira Stuntman Mike pour les terroriser. Notre meurtrier a cette fois trouver à qui parler, nos héroïnes n’étant de simples victimes mais également des PERSONNAGES de cinéma qui montreront une toute autre résistance (au point de ne pas craindre de laisser la copine pom pom girl  seule en compagnie d'un redneck concupiscent). On frissonne d’abord le temps d’une périlleuse course poursuite où elles subissent les coups de boutoir de Stuntman Mike avant de jubiler comme jamais devant la revanche dévastatrice de ces femmes.

Les tunnels de dialogues de Tarantino ne sont là que pour rendre le surgissement de l’action plus jouissif encore (le final de Kill Bill Volume 1 est resté dans toutes les mémoires) et sa mise en scène virtuose nous offre une cavalcade frénétique et palpitante. Cet allergique aux effets numériques lâche donc un morceau de bravoure « à l’ancienne » tout en vrai dérapages, crissement de pneus et cascades nerveuses où chasseur et proie s’inverse pour notre plus grand plaisir.

Stuntman Mike est ramené au réel d’un coup de feu bien senti et perd de sa superbe en pleurnichant de douleur (Kurt Russell est aussi génial pour se rendre intimidant que ridicule) tandis que le groupe de filles se fait plus féroce que jamais, jurant et riant aux éclats. La conclusion met en scène une véritable raclée de cinéma, stylisée et outrancière où Stuntman Mike mord la poussière sous les assauts girl power.

Le manifeste est la fois cinéphile et féministe, célébrant le triomphe d’un monde imaginaire et tarantinesque (les références à son univers son multiples pour les plus attentifs avec l’apparition de Michael Parks pour le même personnage qu’Une nuit en enfer (1995) pour la plus voyante). Dans sa totale croyance en le pouvoir du cinéma et après donné son compte aux tueurs machos, Tarantino était prêt à défier la grande Histoire dans son chef d’œuvre Inglorious Basterds.

Sorti en dvd zone 2 français chez TF1 vidéo

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