Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 26 juillet 2016

Trainspotting - Danny Boyle (1996)

Les aventures tragi-comiques de Mark Renton, junkie d'Edimbourg, qui va tenter de se séparer de sa bande de copains, losers, menteurs, psychopathes et voleurs. 

Danny Boyle signe un pur film culte et générationnel avec ce Trainspotting qui électrisa le cinéma anglais des années 90. Il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de l’écrivain écossais Irving Welsh, une chronique de l’ennui ordinaire de la jeunesse d’Edimbourg et de leurs menus larcins dictés par leur addiction à l’héroïne. Son fidèle producteur Andrew Macdonald aiguille Danny Boyle sur le potentiel du roman et le réalisateur par son approche du sujet convaincra Welsh de lui en céder les droits. L’auteur jusque-là sollicité pour des transpositions sérieuse et misérabiliste est séduit par la dimension « ludique » et grand public du scénario de John Hodge. L’un des grands changements sera de donner un fil conducteur plus consistant en recentrant complètement la narration sur Renton (Ewan McGregor) tout en conservant l’aspect tranche de vie junkie du roman où de courts chapitre dépeignait le quotidien des personnages.

Irving Welsh fut parfois accusé par ses détracteurs de donner une image monstrueuse, méprisante et condescendante des classes ouvrières qu’il entendait défendre. Il entendait montrer une société capitaliste 80’s où le consumérisme et l’individualisme ordinaire en appel à un repli sur soi dépassant la notion de pauvreté ou de richesse. Le personnage de Renton en est une illustration parfaite. L’absence de perspective, la grisaille d’Edimbourg et un quotidien sans but amène vers ce repli par les détours opiacés de l’héroïne. Le monologue d’ouverture du héros dépeint ainsi tout un monde de responsabilité adulte et pénible qu’il cherche à fuir : 

Choose Life. Choose a job. Choose a career. Choose a family. Choose a fucking big television, choose washing machines, cars, compact disc players and electrical tin openers. Choose good health, low cholesterol, and dental insurance. Choose fixed interest mortgage repayments… Choose a starter home. Choose your friends. Choose leisurewear and matching luggage. Choose a three-piece suit on hire purchase in a range of fucking fabrics. Choose DIY and wondering who the fuck you are on Sunday morning. Choose sitting on that couch watching mind-numbing, spirit-crushing game shows, stuffing fucking junk food into your mouth. Choose rotting away at the end of it all, pissing your last in a miserable home, nothing more than an embarrassment to the selfish, fucked up brats you spawned to replace yourselves. Choose your future. Choose life...

Cette tirade désabusée est contrebalancée à l’image sur fond de Iggy Pop par la cavalcade de Renton venant de commettre un délit de plus pour financer son addiction, visage dément, émacié et hagard. Avant de lâcher la raison de cette fuite en avant :

But why would I want to do a thing like that? I chose not to choose life. I chose somethin' else. And the reasons? There are no reasons. Who needs reasons when you've got heroin?

L’héroïne est donc pour ces misérables le moyen le plus court de nourrir cet individualisme à défaut d’autre chose, Boyle narrant par quelques vignettes bien senties à quel point là repose la seule exaltation des protagonistes. Contrairement au Requiem for a Dream (2000) de Darren Aronofsky ne jouant que sur l’aspect descente aux enfers de l’addiction, Trainspotting est sans doute une des visions les plus justes des hauts et des très bas que procurent l’existence de junkie. La vraie vie n’est synonyme que de frustrations matérielles, de compromissions sentimentales (le saisissant montage alterné de la nuit agitée et des lendemains qui déchantent de Tommy, Renton et Spud, hilarant et pathétique) et de soumissions à l’ordre des choses - Spud sabordant un entretien d’embauche pour continuer à toucher tranquillement ses allocations. L’héroïne n’exige rien de vous, offre un plaisir saisissant, immédiat et dilate le temps et l’espace pour vous absoudre de toute responsabilité, de tout tracas. Retrouver cette sensation d’oubli éphémère nécessite ainsi toute l’énergie et la volonté du junkie comme le montrera un montage brillant de délinquance urbaine sordide sur fond de Nightclubbing d’Iggy Pop.

La force de Danny Boyle est justement ce ton jouant avec les hauts et les bas de l’addiction. L’imagerie surréaliste des trips de Renton entremêle constamment la grâce et la crasse avec dans une même séquence « les pires toilettes d’Ecosse » et une vision apaisée et rêveuse du monde dissimulée sous une cuvette de WC. Le réel ne possède pas ces aspérités et est juste grisâtre et déprimant, voir cette sortie en campagne avortée et l’occasion d’une tirade mémorable de Renton sur la honte d’être écossais. La narration percutante rend au départ ces montées et descentes très ludique, tant par le contraste de situations sources de jubilation et gags fabuleux (le réveil des plus scatologiques de Spud) que par la caractérisation des personnages. Spud (Ewen Bremmer qui joua le rôle de Renton dans l’adaptation théâtrale du roman qui précéda le film) gentiment benêt et ahuri, Sick Boy ses tirades existentielles et sa passion pour Sean Connery et même le sociopathe Begbie (extraordinaire Robert Carlyle accro lui à la violence), tous constituent des figures hautes en couleurs et malgré tout attachantes à leurs étranges manières. 

L’addiction croissante de chacun dilue pourtant toute cette approche, l’autre comptant toujours moins que l’étourdissant oubli du prochain fix qui fera oublier tous les drames. Boyle ose quelques moments assez insoutenables avec la mort d’un nourrisson et une éprouvante scène de sevrage. Il offre également la plus belle scène de sa carrière avec cette d’overdose portée par le Perfect Day de Lou Reed, le sentiment d’échappée se faisant morbide et poétique grâce à une belle idée formelle – Renton s’enfonçant dans la moquette dont il conserve la vision tout au long de son bad trip.

Cette survie miraculeuse en forme de résurrection amorce le virage de la dernière partie. Ayant gouté les joies d’une existence cossue londonienne, Renton trouve une autre voie pour nourrir son égo.  L’esprit clair, il comprendra que le lien à ses anciens amis ne tenait qu’à une cuillère réchauffée et une seringue enfoncée dans la chair pour faciliter la trahison finale. Quand les joies du consumérisme tendent leur bras, l’individualisme n’a plus besoin d’endosser le désespoir symbolisé par l’héroïne mais peut enfin embrasser les joies d’une vie bourgeoise. La tirade finale faisant écho à l’ouverture n’est plus un rejet, mais une acceptation :

Now I'm cleaning up and I'm moving on, going straight and choosing life. I'm looking forward to it already. I'm gonna be just like you. The job, the family, the fucking big television. The washing machine, the car, the compact disc and electric tin opener, good health, low cholesterol, dental insurance, mortgage, starter home, leisure wear, luggage, three piece suite, DIY, game shows, junk food, children, walks in the park, nine to five, good at golf, washing the car, choice of sweaters, family Christmas, indexed pension, tax exemption, clearing gutters, getting by, looking ahead, the day you die.

Dans la fange comme dans le possible luxe, l’homme est seul et uniquement préoccupé par lui-même (même si un élément final atténue un peu la vision cynique) dans une noirceur que Danny Boyle reprend d’Irving Welsh mais qui prolonge son propre Petits Meurtres entre amis (1994) inaugural. Il en faudra du chemin pour parvenir au conte lumineux et positif de Slumdog Millionaire (2009). 

Sorti en dvd zone 2  français chez Universal

5 commentaires:

  1. Trainspotting était un excellent film... Je ne peux hélas pas en dire autant de sa suite, Trainspotting 2 (T2), que j'ai trouvé raté à tous points de vue... Les personnages n'étaient pas crédibles et le scenario n'avait rien de très intéressant ou particulier à raconter... La réalisation était très banale, ce qui est très décevant quand on a été habitué aux petites pépites de Danny Boyle (Sunshine, Slumdog Millionnaire ou encore 127 Heures)... Bon, en même temps, ce n'est pas le seul film décevant de Danny Boyle des années 2010... Le film sur Steve Jobs m'avait aussi passablement ennuyé, déjà que je trouvais le sujet fort peu intéressant au départ (Steve Jobs n'est pas du tout quelqu'un dont la vie m'intéresse). "Alors pourquoi as-tu voulu voir ce film ?" me direz-vous... Eh bien justement : parce que je pensais qu'avec ses excellentes compétences de réalisateur, il saurait la rendre intéressante... Mais en fait, non. Il n'a pas du tout réussi à me captiver, ce film... Je m'y suis même plutôt ennuyé...

    Pour en revenir à Trainspotting (le 1er, l'original) ce qui m'a plu c'est la réalisation, la façon dont Danny Boyle a réussi à mettre en images des ressentis, des sensations, des émotions... Celle d'un junkie (Mark Renton) avec ou sans ses copains... Je ne dirais pas que ce sont des loosers (terme moraliste que j'apprécie assez peu et puis ce n'est d'ailleurs pas du tout le propos du film. Juste un groupe de copains vivant dans une petite ville écossaise, banlieue d'Edinburgh ou il est vital (ou mortel...) d'échapper à cet épouvantable ennui qui y règne... Dans ce groupe de 5 personnes, 3 ont choisi les drogues (Renton, Sick Boy et Spud), 1 a choisi la violence (Begbie), et le dernier (Tommy) a choisi le foot, sa copine et ses copains... avant que, finalement, il ne choisisse à son tour, la drogue (sa copine l'ayant quitté, tout ce en quoi il croyait (santé, amis, amour) s'est totalement effondré, plus rien n'avait d'importance ni même de sens, il lui fallait s'enfuir, s'échapper, s'évader de l'enfer qu'il traversait)...

    Comme pour tous les junkies, le vol est un mode de vie indispensable pour avoir sa came quand on n'a pas de boulot... Est volé tout ce qui peut être vendu, télévision, divers objets de consommation courante

    Seulement voilà... Mort pour mort, Renton a bien failli y laisser sa peau, et après un passage au tribunal, il accepte de se faire désintoxiquer... Mais ce n'est pas si simple quand on est accro... Et difficile de ne pas replonger. Une fois qu'il y a goûté, la drogue fait toujours partie de la vie d'un junkie, si ce n'est pas sous ses yeux, c'est dans sa tête. Il ne peut jamais redevenir vraiment comme il était avant, ça le hante. Certains parviennent à ne pas céder, mais beaucoup retombent, et dans tous les cas, c'est toujours là, dans leur tête.

    Le temps passe et Renton décide de reprendre sa vie en main et la seule façon de s'en sortir, c'est de quitter la banlieue d'Edinburgh pour aller là où la mort n'est pas omniprésente, là où ça bouge : à Londres... Mais il n'est pas facile d'effacer son passé, il finit toujours par nous rattraper...

    Ce film est l'histoire d'un groupe de copains qui font ce qu'ils peuvent pour s'en sortir, et c'est ça qui les lie...

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    1. En fait, quand on y réfléchit, on se rend compte que chacun utilise un élément qui lui donnera des émotions fortes et lui donnera la sensation d'être vivant dans cette ville où il ne se passe rien : la drogue, la violence, le sexe (et d'ailleurs, les uns peuvent évoquer indirectement le choix des autres afin de démontrer la supériorité de son choix à celui d'un autre "Take the best orgasm you've ever had, multiply it by a thousand and you're still nowhere near it!" ("Prends le meilleur orgasme que tu aies jamais eu, multiplie le par mille et tu es encore loin du compte !"). Chacun a sa propre drogue, sa propre façon d'échapper à ses soucis, comme l'explique Renton dans cette phrase " ... and one bottle of Valium, which I have already procured from my mother, who is, in her own domestic and socially acceptable way, also a drug addict."

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    2. Effectivement la suite est assez catastrophique et les rares bons moments sont ceux qui font écho au premier film. Ce n'était clairement pas une bonne idée cette suite tardive (même si ce fut l'occasion pour Danny Boyle et Ewan McGregor de se rabibocher après une longue brouille) qui en plus casse la géniale ambiguïté de la fin du premier film, Renton cède t il a un conformisme cynique ou échappe t il vraiment à sa condition initiale ?

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    3. Je suis d'accord avec toi, Justin : toute la question est là : Renton s'en sort-il ou s'en sort-il avant de replonger à nouveau ? Tout est laissé en points de suspension, et c'était ça qui était important, car on ne sait jamais, comme je l'ai écrit dans mon commentaire, et comme c'était expliqué d'ailleurs dans le film, il est très difficile pour un ex-junkie de couper complètement les ponts avec la drogue et, même s'il décide d'arrêter, c'est toujours un peu quelque part en lui. Certains parviennent à arrêter, d'autres rechutent, les points de suspension, ou l’ambiguïté de la fin, a tout son sens dans le 1er Trainspotting et qui laisse le spectateur dans l'interrogation...

      Mais Irvine Welsh, qui a écrit Trainspotting, le roman dont le film est une adaptation, avait écrit une suite à Trainspotting intitulée Porno, reprenant les mêmes personnages 10 ans plus tard répondant aux questions Que sont devenus Renton, Begbie, Sick Boy, Spud ?

      Trainspotting 2 n'est pas une adaptation de Porno, mais il en reprend le principe du "10 ans, que sont-ils devenus ?" plus tard qui est une idée d'Irvine Welsh.

      L'erreur vient donc en premier d'Irvine Welsh pour avoir fait, en matière littéraire, ce que nous reprochons à Danny Boyle en matière cinématographique : faire une suite à Trainspotting, donner des réponses à des questions qui auraient dû rester en suspens...

      Je trouve aussi que cette idée de faire une suite est, en soi déjà, un beau gâchis, mais en plus, cette suite (au cinéma, tout du moins, n'est pas réussie...

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    4. Irvine Welsh avait écrit Porno, avec les personnages de Trainspotting 10 ans plus tard, Danny Boyle a fait Trainspotting 2, avec les personnages et acteurs de Trainspotting 20 ans plus tard.

      Mais cette suite n'avait rien d'indispensable je trouve même que quand une suite n'a de bon que les clins d’œil au film dont elle fait suite, c'est qu'il y a un problème.

      Par ailleurs, Trainspotting 2 a été l'occasion pour Danny Boyle et Ewan McGregor de se réconcilier, mais n'importe quel autre film aurait pu être pour eux une occasion de se rapprocher. Il aurait suffit pour Danny Boyle de rencontrer Ewan McGregor pour discuter avec lui afin de l'intégrer dans le casting de son nouveau film, comme il l'a fait pour Trainspotting 2, mais sans que ce soit pour un Trainspotting 2.

      Enfin, heureusement, Trainspotting 2 est passé quasi-inaperçu en France, il ne risque donc pas de gâcher le film Trainspotting...

      D'après Wikipedia (info à prendre avec des pincettes comme tout ce qui peut venir de Wikipedia) :

      "Aux États-Unis, le film reçoit des critiques plutôt positives. Il enregistre 77 % d'opinions favorables sur l'agrégateur Rotten Tomatoes, avec une note moyenne de 6,8/10, pour 176 critiques24. Sur Metacritic, il obtient une moyenne de 67/100 pour 42 critiques."

      "Le film rencontre un succès commercial relativement modeste, rapportant 41 681 746 $ de recettes mondiales, dont 2 402 004 $ aux États-Unis et 21 186 631 $ au Royaume-Uni, pour un budget estimé à 18 millions $28.

      Il a réalisé 102 201 entrées en France et 169 276 entrées en Allemagne.

      Le film est passé inaperçu en France, se contentant de rester une semaine dans le top 20 hebdomadaire avec plus de 75 000 entrées en première semaine, alors que Trainspotting était parvenu à cumuler plus de 827 000 entrées en restant neuf semaines dans le top 20 lors de sa sortie en 1996 afin de finir son exploitation en atteignant 1 million d'entrées."

      (source : https://fr.wikipedia.org/wiki/T2_Trainspotting )

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