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mercredi 28 septembre 2016

Du soleil dans les yeux - Il sole negli occhi, Antonio Pietrangeli (1953)

Celestina est une jeune fille de la campagne qui quitte son village natal pour se rendre à Rome où elle travaille comme femme de chambre. Dans le climat débridé de la capitale, Celestina, fille plutôt réservée et naïve passe d'une famille à l'autre. Ainsi, elle se lie d'amitié avec d'autres jeunes filles romaines et finit par faire la connaissance de Fernando, un beau plombier dont elle tombe amoureuse.

Du soleil dans les yeux est le premier film d’Antonio Pietrangeli, personnalité originale et injustement oubliée de l’âge d’or du cinéma italien. Après des études de médecine, il suit le parcours de nombreux futurs cinéastes italiens de l’époque passant par l’écriture, d’abord au sein de la critique puis en tant que scénariste. Là il œuvrera pour nombres de réalisateurs majeurs durant l’après-guerre comme Luchino Visconti pour Ossessione (1943) et La Terre tremble (1948), Roberto Rossellini sur Europe 51 (1952) ou dans un registre plus populaire Fabiola d’Alessandro Blaseti (1948). Sur certains de ses scripts comme La Louve de Calabre (1952) d’Alberto Lattuada, on pouvait distinguer ce qui serait la préoccupation majeure de sa filmographie à venir : la condition féminine dans l’Italie moderne. Ce thème rarement évoqué dans la production italienne d’alors - même si pas totalement absent notamment chez Dino Risi avec Boulevard de l’espérance (1953) ou Le Signe de Vénus (1953) - le distingue donc et fera la réussite d’Adua et ses compagnes (1960) La Fille de Parme (1963) ou Je la connaissais bien (1965) mettant en valeur de grandes actrices comme Simone Signoret, Catherine Spaak, Stefania Sandrelli. Tout cela brille donc déjà dans cet inaugural Du soleil dans les yeux.

Le film s’ouvre sur le départ douloureux de Celestina (Irène Galter), contrainte de quitter son village natal et ses frères pour travailler à Rome comme femme de chambre. Pour la jeune paysanne, tout dans cette nouvelle vie est source de frayeur : l’immensité de cette ville où elle se perd dès la première course à effectuer, les remontrances de son intolérante patronne et surtout la terrible solitude qui la ronge. Pietrangeli traduit formellement chacun de ces manques, perdant la frêle silhouette de Celestina dans la largeur d’une rue qu’elle traverse maladroitement, opposant l’aisance de mouvement et d’éloquence de la patronne avec son mutisme craintif et figé et enfin en opposant sa tenue de paysanne godiche et les jeunes femmes de son âge plus apprêtées qu’elle croise. L’apprentissage de Celestina se fera à travers les différentes familles qu’elle servira et surtout par son expérience des hommes. 

Chaque « employeurs » représente une tranche sociale de l’Italie d’alors et voit Celestina gagner en confiance en elle et en répondant, ce qui se répercute dans son rapport aux hommes et inversement. Paysanne apeurée de tout, elle tremble comme une feuille face aux vociférations de sa cruelle patronne représentant la nouvelle bourgeoisie snob symbolisée par l’immeuble moderne où elle vit. Cette angoisse se ressent dans le rejet des tentatives d’approche de Fernando (Gabriele Ferzetti) un séduisant plombier qui lui plaît pourtant. Le professeur à la retraite chez lequel elle officie ensuite s’avère paternel et bienveillant, mais illustre à sa manière cette vieillesse rejetée dans l’Italie pauvre et en reconstruction que montrait Vittorio De Sica dans Umberto D (1952). Là, fiancée à un très conformiste et ennuyeux policier, Celestina montrera les premiers signes d’émancipation en finissant par repousser ce prétendant à la moralité hypocrite.

Notre héroïne semble alors désormais maîtresse de ses choix professionnels et amoureux en cherchant une nouvelle place à proximité du lieu de travail de Fernando qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. La nouvelle place représente l’aristocratie italienne encore toute puissante mais alors que les lieux en imposent bien plus par leur luxe et espace Celestina n’éprouve plus aucune crainte, désormais habile à duper ses employeurs. La quête de séduction de Fernando l’a rendue mutine et assurée, le lieu de travail n’étant plus un cadre de souffrance mais un moyen de l’attirer avec un incident de plomberie « volontaire ». Le regard et les caresses de l’être aimé surmontent tout, y compris la nouvelle perte d’une place ou encore la vindicte morale qui traverse tout le film via l’église et les différents échelons sociaux nantis rencontrés.

Antonio Pietrangeli daigne alors enfin élargir l’horizon tant physique que mental du récit. Une magnifique séquence romantique à la campagne, baignée d’une imagerie impressionniste, repousse pour un court instant tous les clivages sociaux et moraux qui oppressent Celestina. Irène Galter dont le visage au bord des larmes ou profondément mutique illustrait détresse et résignation s’illumine enfin. Le corps raide et engoncé se fait plus lascif, l’allure plus séduisante avec cette resplendissante robe d’été, en un mot plus féminine car enfin aimante. Une nouvelle fois, le parallèle pourra être fait avec l’épanouissement de sa nouvelle place chez de riches commerçants au ton rieur et populaire qui là annonce les nouveaux riches du miracle économique italien. L’ultime épreuve de Celestina sera pourtant de s’affranchir de l’autre dans une société où la quête de richesse prime sur tout. Elle en goutera l’amère expérience en filigrane tout au long du film, poursuivie ou repoussée pour son attrait pécuniaire autant que pour sa beauté. Les héritiers du vieux professeur la menacent de procès en découvrant que celui-ci envisage de lui léguer ces terres, possibilité qui semble nourrir la passion du prétendant policier. Fernando bien que sincèrement amoureux hésite ainsi avec une fiancée richissime qui le couvre de cadeau et l’associera à un commerce lucratif.

Les seules relations fiables synonymes d’amitiés s’illustrent à travers les femmes et plus précisément les ouvrières entre elles. Les exemples d’émancipation avec Marcella (Pina Bottin) qui élève son fils seule, d’entraide lorsque cette même Marcella sert de fausse référence aux futurs employeurs, de soutien moral constant, tout cela passe des figures féminines compréhensives issues du même monde. Ainsi malgré une conclusion qui pourrait paraître très sombre, Antonio Pietrangeli achève son film sur une vraie note d’espoir et montrant combien cette solidarité féminine inaltérable sera le socle des libertés futures. Un message poignant et d’une grande finesse. 

Inédit en dvd pour l'instant mais le film ressort en salle le 12 octobre, l'occasion d'une bien belle découverte

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