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lundi 14 mai 2018

Il Gaucho - Dino Risi (1964)

Mario Ravicchio, un attaché de presse financier "légèrement" à court d'argent, accompagne une compagnie de production italienne pour un voyage d'affaire en Argentine, afin de présenter un film lors d'un festival. Quand ce n'est pas avec les femmes, il passe le plus clair de son temps, a essayer de gagner un maximum d'argent, soit aux paris, soit en soutirant de l'argent auprès d'un italien expatrié, devenu un riche et prospère industriel...

Il Gaucho est une des plus belles réussites du duo Dino Risi/Vittorio Gassman. Un des atouts du film vient de son processus d'écriture singulier. Au départ il y a le postulat imaginé par Dino Risi d'une satire de cinéma se déroulant en suivant l'équipe d'un film durant un festival. Joignant l'utile à l'agréable le réalisateur choisit pour cadre le Festival de Mar Del Plata en Argentine durant lequel il tournera le film. La production soutient le projet mais Risi n'a qu'un mois pour pondre son scénario avant le début du festival et il s'envole donc pour l'Argentine en compagnie de son scénariste Ettore Scola. En journée Risi parcours le pays, repérant autant les lieux de tournages potentiels que les personnalités rencontrées dont il rapporte la description à Scola qui doit en alimenter son script. Le film débute sans scénario définitif et la méthode improvisée se poursuit, Scola travaillant d'arrache-pied pour alimenter Risi de scènes à filmer pour le lendemain, d'autant que les comédiens s'ajoutent également au processus créatif. Ces conditions amèneront une étonnante fluidité et spontanéité au film, la progression dramatique naissant plus de l'évolution des personnages que d'une construction narrative de séquences.

Vittorio Gassman retrouve ici un de ses fameux emplois de "Mattamore" arrogant en incarnant Mario Ravicchio, attaché de presse accompagnant l'équipe d'un film pour un festival en argentine. La satire bat son plein dès la caractérisation de l'équipe avec deux bimbos écervelées, une actrice vieillissante ou encore un scénariste gauchiste. Mario mène la petite troupe par sa truculence et sa fourberie. L'hypocrisie et les faux-semblants règne ainsi dès le départ, le festival et l'Argentine au sens large représentant une manne dont il faut profiter. On s'amuse ainsi de voir Mario habilement négocier la meilleure suite, esquiver le moindre d'hôtel frais supplémentaire et se faire payer tous ses repas avec une gêne toute calculée. Les séquences grinçantes s'enchaînent sans discontinuer et n'épargnent personne telle cette conférence de presse où les réponses illustrent l’égo de l’actrice déclinante Luciana (Silvana Pampani), la pédanterie intellectuelle du scénariste (Nando Angelini) et la profonde bêtise des deux starlettes (Annie Gorassini et Maria Grazia Buccella).

Tous représentent un instantané monstrueux de l'Italie mais qui fait pourtant briller les yeux de la population locale. Une des originalités du film est en effet de montrer la diaspora italienne expatriée depuis plus ou moins longtemps (et ayant plus ou moins réussie) en Argentine. Cette nostalgie du pays introduit donc des personnages haut en couleur comme le riche industriel Maruchelli (Amedeo Nazzari) forçant jusqu'à la caricature son italianité, mais offre aussi des séquences hilarantes comme cette dispute routière achevée dans le rire quand Mario comprendra que son interlocuteur est romain - la dimension régionale est un élément fondamental de la culture italienne dont les scénaristes savent toujours bien tenir compte.

Le film est constitué ainsi d'une suite de moments épars fustigeant autant les locaux que les nouveaux venus, la vraie découverte du folklore du pays (le tango, les gauchos) s'entrelaçant toujours à cette moquerie. En l'état et même par ce pur prisme cynique Il Gaucho aurait déjà été une excellente comédie. Mais c'est mal connaître Risi qui va bercer l'ensemble d'une vraie mélancolie. Endetté jusqu'au coup au pays, Mario compte sur l'aide de son ami Stefano (Nino Manfredi) depuis dix ans en Argentine pour le renflouer. Leur rencontre fait de faux-semblants et fanfaronnades fuyantes avant de s'avouer leur dénuement respectif constitue une des plus belles scènes du film.

Risi désamorce le vrai drame de l'instant en les montrant rieurs (mais c'est bien le rire du désespoir) sur leurs déconvenues, la scène amenant le ton plus désenchanté de la deuxième partie du film. L'Argentine représente une "terre promise" où tous sont venus chercher quelque chose en vain, et Risi s'éloigne de la caricature initiale pour scruter leur détresse. Le riche industriel s'accroche à une identité italienne qui s'estompe avec le déracinement, Stefano végète dans ce pays où il était venu réussir, Luciana sous ses airs hautain subira le camouflet d'un prétendant, sans parler de Mario dont les créanciers l'attendent à son retour.

La structure atypique du film laisse ainsi cette mélancolie se diffuser imperceptiblement entre deux éclats de rire (l'apparition hilarante d'un sosie d'Hitler) et sans jamais adoucir les personnages (Mario couchant avec l'épouse de Maruchelli), leur nature attachante naissant de cette imperfection. Toute l'histoire constitue ainsi une parenthèse enchantée estivale, insouciante et illusoire avant un retour au réel difficile. Risi conclut fort heureusement sur une note rieuse avec un dernier coup de griffe tordant quand un autre italien renommé s'apprête à débarquer en Argentine (piétinant au passage le semblant de sincérité des adieux). Vittorio Gassman entre grotesque et vraie belle nuance est une fois de plus grandiose et trouve un de ses meilleurs rôles chez Risi. L'expérience le marqua durablement, tout comme Ettore Scola pour lequel le tournage fut une vraie aventure.

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez ESC

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